La métamorphose
Je n’aurais, bien sûr ! pas fait de mal à une mouche.Mais celle-ci persistait dans son infime et agaçante présence, se collait au bord de la table, semblait, malgré l’avance de la saison, ne vouloir en finir avec sa vie de mouche. D’une chiquenaude je l’envoyai sur le sol et me remis à écrire.
Au bout d’un long moment, levant le nez, je l’aperçus qui se traînait encore sur l’espace vide du plancher. Non sans un peu de répulsion, je tendais le pied pour l’achever quand j’eus l’impression qu’elle avait augmenté de volume. Quel idiot j’étais d’avoir pris pour une innocente mouche, ce perfide insecte deux fois gros comme elle ! Sans hésitation, je l’écrasai.
Mais à peine ma semelle relevée, la disgracieuse bête, grosse à présent comme un cancrelat2, détalait avec une extraordinaire vélocité et comme je la poursuivais, comme j’allais l’atteindre, se glissait sous un coin du tapis. Alors je m’acharnai, foulant l’endroit où je la présumais cachée, sûr cette fois d’en être quitte. Il n’en fut rien pourtant. Je n’étais pas depuis deux secondes à nouveau penché sur ma page que je vis la carpette se soulever lentement et une sorte de monstrueux hanneton noir en sortir. Il avançait difficilement, en laissant une trace brunâtre.Mais lorsqu’il m’eut entrevu, et malgré mon état lamentable, le hideux animal pris de panique parut se soulever du sol. Et tandis que je le pourchassais autour de la chambre, il se métamorphosait devant mes yeux. Sous lui, le paquet de tripes grises enflait, prenait forme, comme si la carapace n’eût été qu’un cocon inutile. Et bientôt je me rendis compte que cette bestiole n’était pas plus mouche que blatte mais simple souris blanche. Enfin, d’un coup de pied, je réussis à l’aplatir, immobile, au milieu d’une flaque de sang. Je me retournai. Autour de la table, les membres de ma famille étaient assis et me regardaient avec un douloureux étonnement nuancé de reproche.
Marcel Béalu, « La Mouche » (1944) in Mémoires de l’ombre, 1991
- Où se passe l’histoire ?
-
Ce cadre est-il fantastique ou réaliste ? Relevez au moins deux indices qui le montrent.
- Quel est le statut du narrateur ? Justifiez votre réponse.
- a- Quelle est l’occupation du narrateur au début du texte ?
b- Est-il seul ? Justifiez votre réponse.
- Indiquez de façon précise le profil social du narrateur (situation sociale, activité …) Relevez deux expressions qui le montrent.
- Quel élément vient troubler la tranquillité du personnage ? Quelle est sa réaction ?
- Quelles métamorphoses successives se produisent au cours du récit : nature, caractéristiques physiques, actions ? Portez les réponses dans le tableau ci-dessous.
Etapes | Nom de la bête | Caractéristiques physiques | Actions |
---|---|---|---|
Etat initial | La mouche | ||
1ère métamorphose | |||
2ème …… | |||
............... |
- Donnez un synonyme de « répulsion »
Relevez dans le reste du récit au moins deux détails qui inspirent et renforcent ce sentiment.
- De quel point de vue ce récit est –il mené ?
- a-Relevez les verbes qui indiquent la chasse à la mouche.
b-A quel champ lexical appartiennent-ils ?
- Comment évolue le comportement du narrateur ?
- Ce comportement correspond-il à la manière dont le narrateur se présente dans la première phrase du texte ?
- Relevez quatre verbes qui expriment un doute de sa part.
- Quelle est la réaction des témoins ?
- A quel genre se rattache ce récit ?
- Relevez, dans la première partie du récit, une ellipse. Indiquez l’indicateur temporel qui l’annonce.
- Quelle figure de style est employée dans la phrase : « Mais à peine ma semelle relevée, la disgracieuse bête, grosse à présent comme un cancrelat , détalait avec une extraordinaire vélocité… » ?
- « Alors je m’acharnai, foulant l’endroit où je la présumais cachée, sûr cette fois d’en être quitte »
Que désignent les pronoms soulignés ?
- « Mais à peine ma semelle relevée …la fin » Ce passage est-il un sommaire ? Une scène ? Une ellipse ? Une pause ? Donnez la bonne réponse.
- Réécrivez l’énoncé suivant en remplaçant les mots soulignés par des synonymes :
« La disgracieuse bête(…) détalait avec une extraordinaire vélocité »
Sujet :
Tu as vécu un événement étrange au cours duquel tu as vu une apparition merveilleuse qui t’as saisi d’admiration mais qui, aussitôt, a pris une apparence repoussante .Raconte cette aventure : décris la métamorphose et tes réactions.
Ton récit doit avoir :
- Une introduction qui présente les circonstances dans lesquelles tu as vécu l’événement.
- Un élément perturbateur qui annonce l’intrusion du mystère.
- Un développement qui comprendra deux parties :
a- Le première annonce l’apparition et la décrit de façon méliorative, décrit tes sensations et tes réactions (admiration, ravissement, enchantement).
b-La deuxième partie décrit la transformation de l’apparition qui prend une apparence inverse, décrit tes sensations et tes réactions (stupeur, déception, peur, horreur …)
- Une conclusion qui donne une explication rationnelle au phénomène.
- La scène se passe dans une chambre d’appartement.
- Le cadre est donc réaliste .Le décor est ordinaire, ( autour de la chambre). Présence d’un « tapis ». repris par le mot « carpette », d’une « table » de livres. Les personnages (autour de la table ) présentent des caractéristiques humaines.
- Le narrateur est interne. Il est le personnage principal du récit, sa présence est marquée par l’emploi de la première personne du singulier « je », « me » .
- Au début du texte, le narrateur était occupé à écrire.
- Le narrateur a une situation sociale et familiale ordinaire : il vit dans une maison avec sa famille. Les verbes qui renvoient à son activité au cours du fait évoqué (« écrire », « penché sur ma page ») laissent penser qu’il est écrivain .
- L’élément qui vient troubler la tranquillité du narrateur est une mouche dont la présence et la vue ne cessent de l’agacer (« agaçante présence », « se collait au bord de la table »)
- Les métamorphoses successives
Etapes | Nom de la bête | Caractéristiques physiques | Actions | |
---|---|---|---|---|
Etat initial | La mouche |
|
Persistait, se trainait | |
1ère métamorphose | Sorte de cancrelat |
|
Détalait, se glissait | |
2ème métamorphose | Hanneton | Monstrueux, noir |
Sortir, avançait difficilement Laissant une trace brunâtre, se soulever Se métamorphosait |
|
3ème métamorphose | Une souris | Blanche, immobile |
- Synonyme de « répulsion » : « dégoût » , (« répugnance », « écoeurement » ) « en laissant une trace brunâtre », « le paquet de tripes grises enflait », « à l’aplatir, immobile, au milieu d’une flaque de sang ».
- Le point de vue adopté par le narrateur est le point de vue interne
- a-Verbes indiquant la chasse à la mouche :
« je l’envoyai sur le sol », « je tendais le pied pour l’achever », « je l’écrasai », « je la poursuivais », « je m’acharnai, foulant », « je le pourchassais », « je réussis à l’aplatir »
b- champs lexical de la violence, de la brutalité .
- On remarque une gradation (augmentation, une montée) dans l’acharnement du personnage contre la bestiole.
- Ce comportement s’oppose totalement à la manière dont le narrateur se présente dans la première phrase du texte. Dans la première phrase, il se présente comme une personne pondérée, calme , paisible et pacifique, incapable de violence, « qui ne fait pas de mal à une mouche ». Or dans le récit, l’acharnement qu’il montre dans la chasse à la mouche montre un être violent, brutal, inconscient, qui a perdu tout contrôle, toute maîtrise de soi .
- Quatre verbes exprimant le doute : « j’eus l’impression », « je la présumais », « l’animal… de parut (se soulever), « comme si la carapace n’eût été ».
- Les témoins c.à.d les membres de sa famille sont stupéfaits, ahuris par le comportement du narrateur. Ses réactions qu’ils doivent juger anormales, et l’état « lamentable »dans lequel son acharnement l’a mis les inquiètent et les déçoivent en même temps puisqu’ils le regardent « avec un douloureux étonnement nuancé de reproche ».
- Ce texte se rattache au genre fantastique.
- L’ellipse est « Au bout d’un long moment, levant le nez, je l’aperçus qui se traînait encore sur l’espace vide du plancher ». Elle est introduite par « Au bout d’un moment » .
- La figure de style employée est la comparaison.
- Dans la phrase « Alors je m’acharnai, foulant l’endroit où je la présumais cachée, sûr cette fois d’en être quitte », les pronoms « la » et « en » reprennent « la disgracieuse bête ».
- Le passage signalé est une scène.
- « La disgracieuse bête s’enfuyait (= partait = déguerpissait ) avec une extraordinaire (rapidité = célérité = hâte)
Exemple de production possible
La semaine des compositions venait de prendre fin. Je pouvais enfin me reposer .Allongé dans mon lit, les écouteurs aux oreilles, j’écoutais la musique tout en feuilletant un livre de fiction pour me détendre. Le silence régnait dans la maison. Les derniers rayons du soleil baignaient la chambre d’une lumière flamboyante.
Au bout d’un moment, j’eus l’impression que quelque chose bougeait derrière le fauteuil placé devant la porte-fenêtre. Les rideaux que le crépuscule teintait de reflets rougeâtres remuèrent. J’eus l’impression que je n’étais pas seul. Je me redressai, tendis l’oreille, mal à l’aise. Rien ni personne. Je venais de m’allonger de nouveau, quand je vis le rideau se tirer légèrement et l’unique fauteuil se déplacer. Je me mis sur mon séant, le cœur battant, les cheveux dressés sur ma tête. Ce que se passa me coupa le souffle.Au- dessus du dossier du fauteuil, j’aperçus d’abord le haut d’une tête humaine couronnée d’un diadème étoilé qui surmontait un front blanc, lisse. Aussitôt deux grands yeux vert émeraude que bordaient des cils couleur de jais se fixèrent sur les miens. Je fus comme hypnotisé. Puis la tête entière surgit .J’étais subjugué par une telle beauté. Le visage aux traits fins, au teint diaphane, étaient encadré par une cascade de cheveux bruns. La bouche pulpeuse et rouge s’étirait en un sourire ensorcelant. Je me levai et tentai un pas vers elle. Elle se leva et se montra enfin. Je ne peux décrire la beauté de cette femme. Elle était drapée dans une sorte de cape en soie vaporeuse brodée d’or, aux plis longs qui laissaient entrevoir un corps sublime.Tout en elle était grâce, douceur et beauté. Elle tendit ses bras graciles vers moi et se mit à rire, d’un rire cristallin .Je parvins à avancer, les bras tendus vers elle, attiré par ce rire envoûtant. Mais au moment où mes mains étaient sur le point de la toucher, le rire cristallin se transforma soudain en un ricanement rocailleux, diabolique. Je sursautai, figé de stupéfaction et d’horreur. A la place de la belle et gracieuse jeune fille, se tenait devant moi, une vielle femme sèche, maigre, le dos voûté qui fixait sur moi deux yeux enfoncés dans des orbites cernés de noir, deux yeux de chouette qui me lançaient des regards perçants comme des lames d’acier . Elle avait un nez crochu planté au milieu de sa figure jaune sillonnée de rides, des lèvres pâles qui découvraient quelques dents ébréchées. Elle était la laideur et la méchanceté mêmes. J’étais pétrifié, incapable de crier. Un frisson glacé parcourut tout mon corps.Je tremblais de la tête aux pieds. Elle tendit vers moi ses mains osseuses aux doigts crochus. J’eus alors un haut-le-cœur, et reculai, saisi d’épouvante. Je poussai un cri et m’enfuis à toutes jambes. Mais ma course fut arrêtée par une pierre contre laquelle je butai et tombai, inconscient.
Que fais-tu là, allongé sur le carrelage froid ? me demanda d’une voix furieuse ma mère que mon cri avait attirée.
J’ouvris les yeux, surpris et soulagé. J’étais allongé par terre, près du lit d’où j’avais glissé.Un livre de contes fantastiques aux feuilles froissées gisait près de moi.
Observations : Pour tester toutes tes connaissances sur « la nouvelle fantastique » nous avons posé toutes les questions possibles qui te permettront (avec le corrigé) de te préparer sereinement à l’examen du Bac. A l’examen, tu n’auras jamais autant de questions. Sois donc rassuré(e). |
