Organiser le récit chronologiquement
Identifier les caractéristiques d’un type de récit fictionnel : la nouvelle
Qu’est- ce qu’une nouvelle ?
C’est un récit court, c’est-à-dire un texte qui raconte une histoire complète sur une à trois ou quatre pages. Contrairement au fait divers, la nouvelle ne raconte pas un fait vrai, vécu, mais une histoire vraisemblable, plausible.
L’histoire comme les personnages sont entièrement inventés par l’auteur : c’est une fiction. Toutefois pour les personnages, l’action, le cadre de l’action, l’intrigue, l’auteur s’inspire de la réalité pour produire un effet de réel, pour créer l’illusion de réel
Nouvelle d’Andrée CHEDID, écrivaine française née au Caire de parents originaires du Liban.
La chèvre du Liban
« Eh, là-bas ! As-tu vu ma chèvre ?
Comme une pierre la voix dévala la montagne, tomba dans l’oreille d’Antoun qui gardait ses troupeaux.
Secoué dans sa torpeur, il se leva en hâte ; ses vêtements larges l’alourdissaient. Il fit quelques pas, regarda autour de lui à flanc de coteau et assez loin dans la vallée ; puis il hocha la tête comme pour dire : « Je ne vois rien » Il se tourna alors vers la montagne, écarta les jambes et, le corps bien d’aplomb, la tête rejetée en arrière, les mains en cornet devant la bouche pour que les mots grimpent mieux (ils avaient bien six cents mètres à parcourir), il cria du plus fort qu’il put, vers l’homme de là- haut :
-Non je ne la vois pas ta chèvre !
Ensuite il revint s’asseoir à l’ombre des trois pins.
Mais la voix qu’il n’entendait plus s’était engouffrée quelque part dans sa tête, battant entre ses tempes. Pour s’en débarrasser, de sa grosse main noueuse, puis de son index recourbé, Antoun se donna de petites tapes sur le crâne.
Un moment après, il pensa qu’il serait bientôt l’heure de rentrer et il se mit à compter ses brebis. Il les compta au nombre de pattes. C’était la méthode qu’il préférait. Elle aidait à passer le temps. Il y fallait en plus de l’attention, de la mémoire et Antoun se flattait d’en être généreusement pourvu.
Il y avait vingt- trois brebis mais pas de chèvre. Pourtant c’est si bondissant une chèvre ! Tellement fait pour les chemins rocailleux. Si attachant aussi lorsqu’elle vous regarde de côté comme pour se moquer de votre gaucherie.
Sitôt qu’il ouvrit la porte de sa maison, Antoun dit à sa femme :
- Chafika, il y a le voisin de la montagne qui a perdu sa chèvre. Tu ne l’as pas vue dans les parages ?
- Non. Mais viens, la soupe t’attend.
Ah ! que cette femme parlait peu. Des nids de silence, les filles de ce pays. A longueur de journée, elles plongent leurs bras dans l’eau de linge et de vaisselle ; ou bien font reluire l’envers des casseroles de cuivre et le carrelage des chambres dénudées.
- Il ne doit pas pouvoir manger ce soir !
- Qui ?
- Mais le voisin ! Celui qui a perdu sa chèvre…
- Dépêche-toi, ta soupe sera encore froide.
Elle s’était levée pour aller vers ses Primus*
- Je t’ai préparé ce que tu aimes, des feuilles de vignes farcies. Ce sont les premières.
- Il est bien question de feuilles de vignes !
Comment pouvait-il être question de feuilles de vignes alors que là-haut un homme, un voisin, un frère se rongeait le cœur ? Antoun l’imaginait : il allait et venait dans les bois, il battait les fourrés, le pas nerveux, le front fermé. Il appelait, il appelait : « Ma chèvre ! Où est ma chèvre ? »C’est terrible un homme qui appelle. Ça ne vous laisse plus de repos.
- Il ne dormira pas cette nuit.
- Qui ça ?
La femme revenait, portant sa casserole brûlante enveloppée dans un torchon.
- Le voisin ! Le voisin ! (Chafika haussa le ton). C’est ridicule, tu ne l’as jamais vu ! Tu ne connais même pas son visage.
- J’ai entendu sa voix…dit Antoun.
Chafika soupira. C’était inutile de répondre. Quand les hommes s’attellent à une idée, ils se laissent entraîner, tout bêtement, comme des carrioles.
- Mais finis donc ta soupe.
« Les femmes, songeait Antoun, c’est comme la terre. Toujours à la même place. Elles connaissent les dix façons de faire du pain, d’accommoder les feuilles de vignes, de préparer une soupe; mais naissent et meurent sans rien imaginer ! Elles se lamentent pour une tache sur une robe, une viande trop cuite, pas sur un homme dans la peine; parce que, prétendent-elles, elles ne l’ont jamais vu ! »
Antoun repoussa la table, se leva :
- Ecoute !
L’assiette pleine se déversa sur la nappe.
- Je n’y tiens plus…Donne-moi la lanterne, je pars chercher la chèvre.
- Tu es fou ! A ton âge et dans ce froid, tu attraperas la mort.
- Elle est peut-être tout près. Je connais le chemin qui mène chez le voisin. Je connais aussi le sentier des chèvres !
Antoun s’en irait, elle ne pourrait pas le retenir. Il était comme cela, aboutissant à son idée par coups de tête successifs; et, celle-ci une fois atteinte, personne ne pouvait l’en déloger.
- Je trouverais sa chèvre, je la trouverais.
Chafika lui donna la lanterne, et il partit.
Le chemin tapissé de pierres inégales était plein de pièges. Il visitait les broussailles, faisait claquer sa langue contre son palais ; c’était là sa façon de parler aux bêtes.
Au bout de quelques temps, le vent se leva, et Antoun dut avancer plié en deux ? « Chafika a raison, je vais attraper la mort. ».Il tira de sa large ceinture un mouchoir qu’il enroula autour de son cou. Et sa coiffe ? Il se demanda ce qu’il devait en faire. La forme cylindrique de ce fez* vous empêchait de le garder sous le bras ou de le fourrer dans une poche. Un coup de vent le fit tomber puis l’envoya rouler dans la vallée. Antoun le regarda disparaître, haussa les épaules et reprit sa marche.
La pente était raide, le vieil homme s’essoufflait. Pour se donner du courage, il repensa au voisin. Il l’aimait encore plus depuis que, pour lui, il avait quitté sa maison, affronté la nuit. Et la chèvre ? Peut-être était-elle blessée, couchée sur le flanc, terrifiée de tout ce noir autour d’elle, les yeux grands ouverts.
Antoun allongea son chemin pour explorer les sentiers de traverse. Il braqua sa lumière sur le sol pour y chercher des traces. L’âge lui pesait dans les jambes; la fatigue l’empoignait, il respirait mal. Il aurait voulu s’étendre, dormir. Il pensa à son lit, à ses draps ; des draps d’un blanc dont Chafika avait, seule, le secret. Mais il grimpa encore. Jamais ses chaussures ne lui avaient paru si étroites.
La mèche faiblit, se consuma; la nuit devint totale. Antoun dut abandonner la lampe et, s’aidant de ses mains, faire le reste du trajet sur les genoux.
Posé comme une couronne sur le sommet de la colline, le village s’appelait Pic des Oiseaux, à cause de la prédilection des hirondelles pour ces arbres. Antoun y entra avec l’aube.
Balançant son urne* à bout de bras, une femme allait vers la fontaine
- Que le jour te soit clair, ô mon oncle !
Une autre, adossée au battant de sa porte, l’interpelle aussi :
- Tu viens sans doute de loin, tu portes la fatigue sur toi. Et tes mains, dans quel état les as-tu mises ? Entre vite ici te reposer.
- Je te remercie, je ne peux pas. Je cherche un homme.
- Un homme ? Quel homme ?
- Hier, au crépuscule, un homme de chez vous a crié dans la vallée. Il était malheureux. Il appelait.
- Pourquoi appelait-il ?
- Il avait perdu une chèvre.
- Ah ! C’est Iskandat dont tu parles.
- Je ne sais pas. Il souffrait.
Elle éclata de rire
- Mais qu’est-ce que tu as ?
- Il ne l’a pas perdue, il l’a vendue. Le matin même avec dix-neuf autres. Le soir, il s’est trompé en recomptant son troupeau. Que veux-tu, il a tellement de bêtes ! C’est le plus gros propriétaire de la région.
- Tu es sûre ?
- Puisque je te le dis.
Se laissant choir* sur une marche du perron, les coudes sur les genoux, le menton dans les mains, Antoun contempla longtemps la vallée et considéra la distance qu’il venait de parcourir.
- Tiens, le voici ! reprit la femme. Sa carriole l’attend un peu plus bas, il va passer devant nous. Une fois par semaine pour les besoins de son commerce, il fait la tournée des villages, et c’est aujourd’hui son jour.
Bordé d’un côté par les maisons, de l’autre par un précipice, ici le chemin se rétrécissait.
L’homme avançait avec assurance, déplaçant l’air de ses larges épaules; il portait un pantalon de toile blanche, une veste noire, une coiffe rouge. En passant, il fit un bref salut à la femme, puis toisa du regard cet étranger, couvert de poussière, accroupi sur le porche, comme un vagabond.
Andrée CHEDID. Le Corps et le Temps
Dénouement inattendu ou (Chute)
« primus » : réchaud / « une urne » : une jarre, un récipient / « se laissant choir » : se laissant tomber / « fez » : chéchia.
QUI ? |
QUOI ? |
Où ? |
QUAND ? |
COMMENT? |
POURQUOI ? |
Conséquences |
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Antoun
|
Part à la recherche d’une chèvre, celle d’un autre |
Dans la montagne sur un terrain hostile |
En pleine nuit |
En affrontant la fatigue, le froid, l’obscurité, bref les dangers de la montagne |
Il avait entendu la voix d’un homme qui cherchait sa chèvre. Il croyait que l’homme l’avait perdue Il voulait l’aider à la retrouver
|
Epuisé, sale, abasourdi, il apprend que l’homme avait vendu sa chèvre et ce même homme ne le considère même pas
|
- L’intrigue
Repose sur une action simple, unique : aller à la recherche de la chèvre du voisin qu’il croyait perdue
- Les actions
La progression de l’histoire repose essentiellement sur la succession d’actions nouvelles qui aboutissent vers une fin inattendue, surprenante : la chute.
LES PERSONNAGES
Fréquence |
Importante |
Moyenne |
Faible |
Très faible |
---|---|---|---|---|
apparition |
Antoun, présent tout au long du récit |
Chafika, son épouse |
La deuxième femme |
La première femme qu’il rencontre (dernière partie du texte) |
actions |
Antoun : en action de façon permanente du début à la fin du récit |
Chafika (elle se contente de parler et penser) |
La deuxième femme (elle invite Antoun à se reposer et l’interroge) |
La 1ère femme et l’homme : tous deux ne font que passer |
L’intrigue est centrée essentiellement sur le personnage principal sur Antoun. Les autres personnages ou personnages secondaires, permettent par leur intervention - de préciser le caractère d’Antoun, sa pensée (Chafika, son épouse) - de faire avancer l’histoire en révélant la vérité : toute l’action d’Antoun est fondée sur une erreur - de montrer l’opposition entre les deux hommes : intérêt d’Antoun pour son voisin inconnu vs indifférence du voisin pour Antoun ou solidarité, générosité vs égoïsme, suffisance |
géographiques |
humains |
socioculturels |
interprétation |
---|---|---|---|
Le titre : Le Liban « la montagne » « Pic des Oiseaux » nom d’un village de montagne au Liban « les bois », la vallée », « les sentiers des chèvres », « broussailles » Région montagneuse boisée …. |
« Antoun, Chafika » : les personnages ont des prénoms orientaux
l’homme est vieux « Le vieil homme » Chafika est silencieuse
« Il y avait vingt- trois » « brebis » « une chèvre » activité des personnages : paysans, éleveurs de brebis et de chèvres pour la fabrication du fromage
Les dialogues. Les pensées des personnages
|
Cuisine orientale« des feuilles de vignes farcies » : plat oriental appelé « dolma »
« Des nids de silence » « Elles…naissent et meurent sans rien imaginer » préjugés de l’homme sur les femmes »
« ce fez », »large ceinture » accessoires du costume traditionnel paysan libanais
- « l’urne », « La fontaine » : mode de puisement de l’eau : absence d’eau courante dans les maisons
« carriole » : pas d’automobile mais des carrioles (sentiers étroits, rocailleux, non carrossables) …… |
Le récit a pour cadre une région montagneuse du Liban. L’histoire se passe dans le milieu paysan, traditionnel où la principale activité est l’élevage de chèvres et de brebis destiné à la production de fromage |
En plaçant l’histoire dans un cadre géographique, social, réel, connu et en mettant en scène des personnages humains qui ont une identité, qui agissent, parlent, pensent, l’auteur veut rendre son récit crédible et vivant
Elle créé une illusion de réel. Le thème qui traite des mécanismes sociaux dans un milieu précis, connu (ici sur la mésaventure d’un montagnard libanaise victime de sa trop grande bonté et son sens de la solidarité) rattache cette nouvelle au récit réaliste
Caractéristiques |
Eléments |
Description |
---|---|---|
Nombre |
Un |
|
Pays |
Le Liban |
|
Région |
Montagneuse (montagne, colline) |
|
Lieux de l’action |
L’intérieur : la maison |
Aucune (quelques noms d’ustensiles) |
L’extérieur : la montagne |
Réduite « Pierres inégales », « pentes raides », « vent » « sentiers de chèvres », « broussailles », « fourrés »
|
Caractéristiques |
Physiques |
Morales |
Sociales |
---|---|---|---|
Antoun |
Néant Il est vieux |
Compassion Altruisme Solidarité Courage Persévérance Ténacité |
Berger : il possède un petit troupeau (« vingt-trois brebis) |
Chafika |
Néant |
Silencieuse Soucieuse du bien-être de son époux |
Femme au foyer |
1ère femme |
Néant |
Néant |
Néant |
2ème femme |
Néant |
Hospitalière (invite Antoun à rentrer se reposer) |
Néant |
L’homme
|
Corpulent (larges épaules) Tenue soignée (pantalon de toile blanche, veste noire, coiffe rouge) |
Assurance arrogance |
Riche « Il a tellement de bêtes » « Le plus gros propriétaire » |
Interprétation |
Portrait physique réduit à quelques détails suggestifs |
Pas de descriptions Le portrait d’Antoun se dévoile tout au long du récit à travers ses faits (actions), ses dires (dialogues) et ses pensées |
S’oppose totalement à Antoun (aussi bien physiquement, que moralement et socialement) |
Etant donné sa brièveté, la nouvelle ne développe pas de grandes descriptions du cadre de l’action ni des personnages : elle ne livre que des détails significatifs. Le portrait du personnage se dévoile tout au long du récit à travers ses actions, ses paroles et ses pensées
LA CHEVRE DU LIBAN (Andrée CHEDID)
Plan |
Contenu |
Procédés utilisés |
---|---|---|
Une voix homme en détresse |
Voix d’un homme en détresse qui recherche sa chèvre Réponse d’Antoun, un vieux berger qui garde son troupeau de brebis Forte émotion d’Antoun
|
Imparfait et passé simple Discours rapporté direct Phrases interrogative Phrase négative Articulateurs de succession : « ensuite », « un moment après »
|
Une voix persistante |
Impossibilité pour Antoun d’oublier la voix |
Plus-que-parfait |
Une tempête sous le crâne |
Tourments, bouleversement d’Antoun par la détresse // indifférence de Chafika, sa femme → Désaccord entre le mari et la femme : opposition entre les arguments d’Antoun et ceux de Chafika Le repas qui refroidit ⇔ une conscience qui n’est pas tranquille Une démarche inutile ⇔ Le devoir d’aider un voisin
Alternance d’actions et de réflexions de l’un et de l’autre (sur les femmes, sur Antoun) ⇒ Prise de décision, résolution d’aller à la recherche de la chèvre perdu |
Noms propres Dialogue Répétitions « a perdu sa chèvre Interrogations « Comment… » Passé simple Imparfait (évocation de l’homme en détresse Impératif (conseils de Chafika)
Champ lexical des activités domestiques ⇒ Futur de l’indicatif (je la trouverai) + répétition |
Une nuit éprouvante |
La recherche de l’animal : une épreuve dangereuse : nombreux obstacles à surmonter : terrain hostile, un temps rigoureux, froid vent violent, l’obscurité après l’extinction de sa lanterne, son âge, la distance à parcourir |
Vocabulaire thématique Champs lexical du danger : pierres, pièges, pente raide, nuit Champ lexical de l’effort : « visitait », « plié en deux », « avait affronté la nuit » « s’essoufflait », Champ lexical de la souffrance : jambes lourdes, pieds enflés, douloureux, fatigue, épuisement Imparfait exprimant la durée |
L’arrivée au village
|
La rencontre avec une villageoise Dialogue : Antoun apprend que l’homme dont il avait entendu la voix n’avait pas perdu sa chèvre : il l’avait vendue ⇒ surprise, consternation, abattement |
Indicateurs temporels
Discours rapporté direct Interrogations Négations Marque d’insistance (« puisque je te le dis») |
Un riche |
Indifférence et dénigrement de l’homme à l’égard d’Antoun |
« toiser », « étranger », « vagabond » |
Dégager la structure narrative du récit
La structure de la nouvelle répond généralement au schéma suivant.
Parties |
Fonctions |
Caractérisation |
---|---|---|
Situation initiale |
Stabilité, équilibre |
Présente les éléments nécessaires à la mise en route du récit et à la compréhension de celui-ci |
Elément perturbateur ou élément déclencheur |
Rupture de l’équilibre |
L’événement perturbateur bouleverse la situation et vient modifier le cours du récit et marque le début des aventures des personnages (les péripéties). |
Des péripéties |
Processus de transformation de la situation |
Evénements imprévus, changements subits de situation, affectant le déroulement narratif de la fiction et en soutenant l'intérêt. Epreuves vécues par le personnage |
Le dénouement |
Résolution du problème |
Disparition du problème qui était posé par l’élément perturbateur |
Situation finale |
Retour à un nouvel équilibre |
Nouvel état dans lequel se trouvent les personnages. Cette fin peut être heureuse ou malheureuse pour eux |
LA MOUCHADOU
On l’appelait la Mouchadou et vous allez comprendre pourquoi. Elle devait avoir douze ans mais paraissait en avoir huit ou neuf. Elle était petite et maigre et on voyait mal son visage sous ses longs cheveux noirs. Un peu sauvage, elle sautait de rocher en rocher avec un petit bourdonnement de mouche. La Mouchadou était sourde et muette.
Á cette époque, dans les villages, il y avait souvent une personne un peu simplette ou folle. On l’acceptait, elle faisait partie du village mais les enfants la tourmentaient sans réfléchir. Nous aussi, nous faisions la même chose. Oui, bien sûr, la pauvre Mouchadou n’était pas folle, mais elle ne pouvait pas parler. Elle était différente et, pour cette raison, nous la tourmentions comme nous tourmentions un chat, des fourmis, une mouche… Et peut-être aussi que nous avions peur d’elle et de ses grands yeux noirs où nous pouvions lire le malheur.
Angéline Carrel, l’institutrice, faisait son possible pour la Mouchadou. Elle la prenait après la classe, lui montrait des mots. Mais nous étions en 1925 ou 1926, nous habitions à La Cluse, petit village des Alpes, et on ne connaissait pas les méthodes modernes pour aider les enfants comme la Mouchadou. L’institutrice était, après le curé et le maire, une personne que tout le monde respectait. Elle nous parlait des sciences et de l’orthographe mais aussi des choses du monde, de la vie, de la santé. Quand elle voyait un « grand » dans un coin avec une cigarette, il devait conjuguer cette phrase à l’imparfait et au passé composé : « Je ruine ma santé, je perds mon argent, je désobéis à mes parents et je fais de la peine à mon institutrice. » Les parents devaient signer le tout, alors, vous voyez le problème.
Angéline Carrel nous parlait aussi de la Mouchadou, de sa solitude. Elle utilisait des images terribles que nous comprenions d’abord mais que nous oubliions vite, une fois en groupe.
Ma vie, c’était la vie des garçons du village. J’avais treize ans, j’allais à l’école, je travaillais déjà beaucoup aux champs. En été, je gardais les moutons, seul dans la montagne. Je restais des semaines loin de tout et, quand le besoin de parler et d’entendre une voix devenait trop fort, je pensais à la Mouchadou. Alors je criais pour entendre le son de ma voix. En novembre, la neige fermait la vallée, mais elle avait pour nous cet avantage : nous avions enfin un peu de temps, et nous pouvions jouer.
Le plus beau jour de l’année, c’était le jour de la fête du village, le premier juillet. On dansait, on mangeait de bons gâteaux. La fête finissait tard dans la nuit et quand les parents étaient au lit, les garçons du village transportaient une charrette au sommet d’un rocher au-dessus du village. Ce n’était pas facile dans l’obscurité. Mais au matin, le propriétaire de la charrette pouvait voir en haut les deux bras de sa charrette et on l’entendait crier dans le village : « Ah ! bande de sacripants ! Ah, vauriens ! »
Nous étions en juillet 1926. Comme d’habitude, la fête finissait en chansons, les gens rentraient chez eux. Il était une heure du matin quand Etienne a eu cette idée diabolique : « Cette année, on va tirer la charrette du père Roux sur le rocher, mais on va faire beaucoup mieux… Demain le vieux va… une fille sur sa charrette. »
— Une fille ? Tu ne veux pas emmener une fille là-haut ? a demandé François.
— Si ! On va laisser une fille sur la charrette. On va l’attacher, bien sûr. Je crois qu’on va bien rire. Imaginez demain la tête du père Roux…
— Mais enfin, ont protesté Michel et François, elle va avoir froid, et puis pense à ses parents, elle va les appeler, ils vont en faire des histoires !
— Froid ? Vous croyez ? Une nuit à la belle étoile en juillet, ce n’est pas un malheur ! Et on lui laisse une couverture, moi je veux bien. Et puis je connais une fille qui ne peut pas appeler, qui ne peut rien raconter à ses parents… La Mouchadou ! »
L’idée ne me plaisait pas trop et j’ai hésité un moment. Mais j’étais le plus jeune du groupe et je faisais partie du « coup » de la charrette pour la première fois. La Mouchadou était encore là. Elle regardait les filles qui dansaient entre elles. Alors, Étienne est allé vers elle, puis il l’a prise par la main et la petite l’a regardé avec de grands yeux. Ils sont venus vers nous et Étienne a dit à la Mouchadou : « On va faire une blague au père Roux, tu viens avec nous. » Alors, Michel et François sont allés chercher la charrette du père Roux qui dormait sur ses deux oreilles et l’escalade a commencé : Étienne et François poussaient la charrette, Michel la tirait et moi je tenais la Mouchadou par la main. De temps en temps, elle me regardait et je devinais son regard inquiet dans la nuit. Elle pouvait m’échapper mais ne le faisait pas. Pourquoi ? Que pensait la Mouchadou ? Est- ce qu’elle ne comprenait pas encore notre idée ? Est-ce qu’elle n’osait rien faire ? Peut-être qu’elle voulait faire partie de notre aventure, peut-être qu’elle ne voulait plus être seule…
Nous avons mis une heure pour arriver au sommet du rocher. Là, nous avons attaché la Mouchadou sur la charrette. Elle ne pleurait pas, elle ne criait pas mais on entendait le bourdonnement un peu fou de sa respiration et je sentais en elle une peur violente.
« N’aie pas peur, a dit Michel, tu ne risques rien…
— Elle ne t’entend pas a dit Étienne, partons. »
Nous sommes partis. Michel chantait, François et Etienne racontaient des blagues et moi je riais. Pendant que nous redescendions, une petite fille là-haut tremblait de peur et ne pouvait appeler personne .Mais tout le monde voulait être gai. Moi je croyais sentir la main de la petite Mouchadou.
Une fois chez moi, je n’ai pas pu dormir. Chaque fois que je fermais les yeux, j’imaginais la fille là-haut sur la charrette. Et tout à coup j’ai pensé aux histoires de loup que ma grand-mère et nos parents racontaient à la veillée. Mais non, il n’y avait plus de loups dans nos montagnes…et surtout pas en été. Quand je gardais les moutons, je restais souvent la nuit dehors. Et je n’avais pas peur. Oh !si j’avais peur ! J’avais peur de la solitude. J’avais peur de la nuit, des loups, des bandits cachés dans les cavernes, des bêtes cachées sous les pierres, je criais, j’appelais le chien…
Vous devez, vous voulez leur parler. C’est votre vie qui est en jeu. Ils vous voient mais ne vous entendent pas et ne vous comprennent pas… » Mademoiselle Carrell exagérait comme toujours. Et la Mouchadou… J’ai sauté du lit au moment où j’ai pensé : « Après tout c’est bien fait pour elle. » J’ai mis mes chaussures et j’ai couru.
L’escalade m’a paru très longue. Et je glissais et tombais sur les pierres. A un moment j’ai entendu un bruit de pierre qui venait de la gauche. J’ai écouté et j’ai entendu une nouvelle pierre qui roulait sur la pente, mais cette fois c’était à ma droite. On montait et on descendait. Des personnes ou des bêtes ? Mais je ne voulais plus hésiter une minute, alors j’ai continué mon chemin. Un quart d’heure plus tard j’étais arrivé à la charrette et j’ai délivré la Mouchadou. Tout à coup, j’ai vu une ombre derrière la charrette. J’ai pris la Mouchadou qui tremblait dans mes bras _ je tremblais aussi_ et j’ai crié : »Qui est là ? » « Moi » a dit Michel, et, en effet c’était bien lui. Il était aussi gêné que moi : « Je crois qu’on a eu la même idée ! » et tout à coup « Chut ! Il y a quelqu’un qui monte ! »
Cachés avec la fillette derrière la charrette, nous avons entendu la voix de François qui l’appelait : « La Mouchadou ! La Mouchadou ! Où est-ce que tu es ? Je suis venu te délivrer ! » Nous n’avons pas bougé mais notre rire nous a trahis.
Le lendemain matin, nous avons entendu le père Roux qui criait dans la rue : « Réveillez vos garçons ou je vais les réveiller à coups de pieds là où je pense ! » J’ai regardé par la fenêtre, j’ai vu Etienne qui courait et son père derrière lui qui criait : « Alors vous l’avez montée là-haut ? C’est vous qui l’avez montée là-haut ? » Et Etienne qui répondait et courait toujours : « Mais je te jure qu’elle est redescendue, si ! Je te jure, elle est redescendue ! Elle est rentrée chez elle, je ne l’ai plus revue. Elle n’était plus là-haut quand je suis remontée. ! » Et son père : « Comment ça, elle est redescendue ? Eh !vaurien ! Regarde là-haut, tu ne la vois pas peut-être ? Ce n’est pas toi qui l’as montée là-haut ? Tu n’as pas d’yeux pour voir, hein ? Redescendue, redescendue ! Et depuis quand est-ce qu’elles ont des ailes les charrettes ? »
Jean PAILLOUX La Mouchadou
Situatuon initiale
Elément perturbateur
Péripétie 1
Péripétie 2
Dénouement
Situation finale et la chute
Structure |
Titres |
Plan |
Contenu |
Procédés utilisés |
---|---|---|---|---|
Situation initiale Evénements passés qui s’étendent sur la durée et /ou se répètent
|
Une enfance espiègle |
Le narrateur situe l’histoire dans le cadre spatio-temporel évoqué
Des personnages qui ont marqué son enfance
Les événements qui organisaient sa vie de petit campagnard avec ses camarades |
- l’institutrice qui donnait des leçons de vie - Le curé, le maire Et surtout, la Mouchadou : une petite fille sourde muette, solitaire, souffre-douleur des garnements
- Scolarité, travaux des champs |
Imparfait - 1ère personne du pluriel / 1ère personne du singulier - Dates - Indicateurs de lieu - Noms propres Répétition (« tourmenter ») Champ lexical de l’école, des travaux champêtres |
Elément perturbateur |
Une idée diabolique |
Une double «blague de mauvais goût »
|
Subtiliser la charrette du père Roux en la montant sur la colline
- Mettre dans cette même charrette la Mouchadou et la laisser seule passer la nuit à la belle étoile
- Des hésitations vite dissipées |
Imparfait Indicateur de temps + passé composé Discours rapporté direct Phrases interrogatives / phrases exclamatives « on », « tu », « je » Présent + futur proche |
Péripétie 1 |
Un mauvais coup un soir de fête
|
- Cruauté, inconscience des garçons - Un être sans défense aux mains d’apprentis-bourreaux.
|
Le guet- apens - Attirer la Mouchadou par le mensonge - Une victime trop docile - Une passivité mystérieuse - Une escalade organisée - Un rapport de forces inégales
|
Articulateurs « alors », « puis » Discours rapporté Imparfait, passé composé - Verbes d’actions : pousser, tirer, tenir - Interrogations |
Péripétie 2 |
Insomnies et remords
|
Abandon de la victime Opposition entre un départ joyeux et une nuit tourmentée
|
- Réjouissance trop visible des jeunes « bourreaux » -Une nuit agitée par la mauvaise conscience |
Vocabulaire du plaisir Pendant que/une fois chez moi Répétition de « peur » |
Péripétie 3 |
Le retour sur le lieu du « crime » |
L'institutrice de poigne : un souvenir convaincant |
- Une lutte intérieure - Effets de la leçon de l’insti Tutrice - Victoire de la conscience |
Monologue intérieur Discours rapportés direct |
Dénouement |
La délivrance |
Des enfants délurés mais pas vraiment méchants |
Rencontre nocturne pour un même projet : libérer la Mouchadou |
« Tout à coup »
|
Situation finale |
La colère du père Roux |
Ordre lancé aux enfants de se lever |
Etienne en danger : les menaces du père
|
Exclamations, Répétitions de Redescendue » «, je jure », « elle » |
La chute |
Le quiproquo*
|
Une situation comique : « elle » → La Mouchadou (pour Etienne) → La charrette (pour le père Roux) |
* quiproquo : malentendu qui fait prendre quelqu’un pour un autre ou quelque chose pour quelque chose d’autre
1-La progression chronologique
Le récit peut suivre une progression linéaire. Les actions sont alors rapportées de manière chronologique. La succession est marquée par des articulateurs de succession tels que : puis, ensuite, alors, un moment après, le lendemain…,
2-Retour en arrière (ou analepse)
Le narrateur peut interrompre la chronologie pour évoquer des événements passés : il effectue alors un retour en arrière (flash- back) annoncé par des expressions désignant l’antériorité : exemples : Auparavant…, Autrefois…, trois jours avant…, l’année passée …, quand (il était plus jeune) …, à cette là, l’emploi du plus-que-parfait…
3- Anticipation. (ou prolepse)
Il peut aussi faire une (des) projection (s) dans l’avenir pour anticiper un événement : c’est une anticipation
4- L’ellipse :
La brièveté de la nouvelle exige que le narrateur se fixe sur les moments décisifs de l’intrigue : il est alors amené à passer sous silence un fait sans grande importance qui ralentirait le rythme du récit : c’est une ellipse. Celle-ci est signalée par des indices temporels tels que : Le soir venu…, six mois plus tard…, dix années passèrent etc…
Le retour en arrière (ou analepse)
(…) Il s’était légèrement coupé la lèvre en se rasant. Il saignait encore un peu, le goût salé dans sa bouche lui donna un haut-le-cœur: Il avait horreur du sang.
La nuit dernière, au bureau de réception de l’hôtel, il avait senti le regard du réceptionniste glisser sur ses vêtements. Il portait son pardessus sous le bras, pour dissimuler son aspect minable. Mais le costume était neuf. Il avait fait des économies pour ça. Et pourtant l’homme l’avait regardé comme un pauvre type et lui avait demandé s’il avait fait une réservation. (Mary Higgins Clark, La Nuit du renard)
L’anticipation (ou prolepse)
Une seule idée occupait sa tête vide d’ouvrier sans travail et sans gîte, l’espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. (Emile ZOLA ? Germinal)
L’ellipse
1- « Nous n’avons pas bougé mais notre rire nous a trahis
Le lendemain matin nous avons entendu le père Roux qui criait dans la rue » (J. Pailloux, La Mouchadou)
2- « Une semaine passa, au cours de laquelle un arbre du quartier s’abattit tellement il était vieux »
1- la nouvelle réaliste :
Une nouvelle réaliste, comme l'indique son nom, se fonde sur la réalité. Elle met en scène des personnages peu nombreux, ordinaires, représentatifs de leur époque, dans un cadre spatio-temporel délimité, elle est centrée sur un fragment de vie ou une anecdote. Elle cherche à donner une image de la vie réelle, évoque une époque et une société précises .L’action est vraisemblable, très proche de la vie quotidienne.
2- la nouvelle fantastique :
Le récit fantastique se caractérise d'abord par l'irruption dans le réel d’un élément invraisemblable, inexplicable. Il fait ressortir les aspects étranges, inquiétants de la réalité ou de phénomènes ressentis comme des manifestations du surnaturel. Le lecteur ne peut de démêler le réel de l'irréel, le rationnel et l'irrationnel. En se propageant à mesure que le récit avance, l'évènement fantastique mine la réalité et fait naître chez, le personnage, la peur, voire l’épouvante qui se communique au lecteur. (Thèmes courants : les fantômes, les zombies, les revenants, les lieux hantés…)
3- La nouvelle policière :
C’est un récit dont la trame est constituée par l’élucidation d’un crime. Le plus souvent il s’agit, d’une enquête policière ou encore d’une enquête de détective privé. Le genre policier comporte six invariants : le crime, le mobile, le coupable, la victime, le mode opératoire et l’enquête
- إختبارات
- 16
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- False
المراتب الخمس الأولى في Quiz
- meriem bencherifa
- 200 نقطة
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- Boutaina Guennouni
- 195 نقطة
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- وردة ولد
- 185 نقطة
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- ghelamallah rachida
- 154 نقطة
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- manar mouaki
- 106 نقطة
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- Bouziane Abdelmoumene
- 52 نقطة
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- None None
- 49 نقطة
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- el houda Nour
- 35 نقطة
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- Madaci Celine
- 32 نقطة
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- mansour safer
- 20 نقطة
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